Trois fois incendiée, trois fois reconstruite: l’incroyable saga de la cathédrale de Reims

Alain Moyat

Photographie : Michel Jolyot

1

Dédiée elle aussi, comme à Paris, à Notre Dame, la cathédrale de Reims dont la première esquisse date de l’an 400, a fêté en 2011 les 800 ans de sa troisième reconstruction. Trois fois incendiée (1210, 1481 et 1914), l’édifice qui a vu de 816 à 1825 le sacre d’une trentaine de rois de France, a finalement été reconstruit trois fois. Non sans difficulté et quelques polémiques.

Un évêque bien mal récompensé

C’est au onzième évêque de Reims, Nicaise, que l’on doit vers l’an 400 la construction d’une église consacrée à la Vierge Marie. S’il s’agissait d’un édifice bien plus petit (20 m sur 55m), que les cathédrales qui furent édifiées ensuite sur ses ruines, son seuil arrivait, paraît-il à la hauteur de la chaire actuelle.

Une chose est sûre, c’est que c’est dans cette église qu’entre 496 et 499 Clovis fut baptisé (et non sacré roi) par l’évêque Remi. C’est aussi dans cet édifice, en 816 que fut couronné à Reims par le pape Étienne IV le premier monarque Louis Le Pieux.

On ne sait pas qui, des Vandales en 407 ou des Huns, en 451, décapitèrent l’évêque devant son édifice, lui permettant d’accéder au statut de saint. L’histoire rapporte pourtant que le malheureux Saint Nicaise se serait emparé de sa propre tête coupée pour la porter dans son tombeau…

Faire un édifice digne de son statut

Mais comment une église en si piteux état avait-elle pu servir de cadre à un sacre si prestigieux ?

820. -Il fallait reconstruire l’édifice. Ce qui demanda plusieurs décennies aux archevêques Ebbon et Hincmar qui en firent une belle cathédrale de 110m de longueur avec deux transepts. Ce second édifice est consacré en 862 en présence du petit fils de Charlemagne, le roi Charles Le Chauve.

Au fil des sacres royaux , dans une ville qui a eu le privilège d’avoir son archevêque Gerbert élu pape sous le nom de Sylvestre II en 999, la cathédrale est donc agrandie, transformée. Nouvelle façade flanquée de deux tours, puissantes cloches, nouveau chœur, chapelles, pavés de marbre et toiture en plomb : à la fin du XIIe siècle le bâtiment mêle plusieurs styles: carolingien, roman et début du gothique.

La cathédrale commencée par Ebbon (820) et achevée par Hincmar. Dessin (contesté) reproduit par Géruzez donné à titre documentaire. Source Histoire de Reims par Georges Boussinesq et Gustave Laurent

Terrible incendie le 6 mai 1210

Cette seconde cathédrale n’allait finalement pas durer plus longtemps que l’originelle. Le 6 mai 1210 un incendie qui s’était développé dans la ville et qui s’était glissé jusque dans le chœur de la cathédrale allait faire littéralement s’effondrer l’édifice principalement constitué de bois et reposant sur d’anciens matériaux constituant la muraille de la ville. La cathédrale ne fut plus rapidement qu’un amas de ruines fumantes.

L’incendie avait-il été en fait été allumé par de bonnes âmes qui voyaient d’un sale œil s’élever à Laon, Noyon ou Paris de superbes cathédrales gothiques ? La rumeur l’a évoqué. Sans preuve aucune.

Toujours est-il qu’un an jour pour jour après ce drame, l’archevêque Aubri de Humbert lança avec le maître d’œuvre Jean D’Orbais qui en avait conçu le plan, le coup d’envoi de la reconstruction de la troisième cathédrale de Reims. Un travail de titan qui demanda pas mal de temps pour la financer et la construire. Le gros œuvre : (chevet, deux portails du transept nord, la nef et une partie de la façade) fut terminé à la fin du XIIIe siècle. Deux siècles furent en fait encore nécessaires pour terminer l’édifice tel que nous avons le plaisir d’admirer encore aujourd’hui.

Financement délicat

Si les archevêques et les chanoines mirent au début de la bonne volonté pour apporter leur écot à la construction de l’édifice, ils confièrent rapidement cette tâche à des prêtres. De grandes quêtes avec présentation de reliques, de bulles apostoliques etc., furent organisées avec à la clef des indulgences (promesse de réduction ou d’annulation du temps du Purgatoire) distribuées aux généreux donateurs !

Ce fut alors l’occasion pour les filous, escrocs et imposteurs en tous genres de profiter de l’aubaine pour s’enrichir. Et l’on vit se multiplier le nombre de faux prêtres se remplissant les poches en racontant des miracles et promettant eux aussi le Paradis à des habitants crédules.

Tant et tant que les conciles interdirent finalement les collectes.

2

Ils oublient d’éteindre un fourneau : la cathédrale de Reims brûle le 24 juillet 1481

Les travaux de reconstruction de la cathédrale de Reims presque totalement détruite après un incendie survenu le 6 mai 1210 n’empêchent pas l’organisation de sacres royaux. Entre 1223, sacre de Louis VIII Le Lion et 1461 celui de Louis XI, ce sont pas moins de douze rois qui sont couronnés sur fond de conflits avec l’Angleterre.

Rêve anglais d’un couronnement à Reims

Le rêve d’Édouard III

Reims et sa cathédrale ont bien failli pourtant au Moyen-Age ne plus être le centre religieux de la France. En effet, il s’en était fallu d’un rien pour que le roi d’Angleterre Édouard III , soutenu par l’archevêque de Reims Jean de Caron, ne se fasse couronner roi de France dans la cathédrale rémoise. La fidélité à la couronne de France des Rémois qui avaient constitué un conseil de ville, « surveillé » l’archevêque et achevé les murailles de la ville avait fait échouer le siège de Reims qui avait pourtant duré un mois (1359).

De même c’est dans une ville de Reims occupée par les Bourguignons et les Anglais et aussi abandonnée à la hâte par le chanoine Pierre Cauchon que Jeanne d’Arc n’hésita pas à faire entrer le futur roi Charles VII pour le faire couronner au cours d’une cérémonie fort simplifiée (1429).

Il en fallait plus pour arrêter les bâtisseurs. Sauf que… Si lors de son sacre à Reims en 1461 Louis XI avait promis de diminuer les impôts, le roi araignée ne tint pas parole, provoquant une mini révolte des Rémois exsangues, vite matée. C’est pourquoi l’incendie de la cathédrale survenu le 24 juillet 1481 n’arrangea les affaires de personne.

24 juillet 1481 : un fourneau resté allumé embrase la cathédrale

C’est l’imprudence d’ouvriers chargés de réparer la toiture de la cathédrale qui avaient oublié d’éteindre leur fourneau à fondre le plomb qui déclencha le sinistre. Le feu a vite gagné la charpente puis toute la toiture de l’édifice. « Le métal en fusion était sur les voûtes comme une mer ondoyante et se répandait dans les rues « raconte un historien. « La toiture, le clocher central, les pavillons qui surmontaient les tours de transept furent réduites en cendres. La galerie en pierre, les pignons et les façades des croisillons étaient calcinés. » Le grand clocher a disparu. Onze cloches ont fondu. Les cinq flèches du transept sont détruites.

Les cinq flèches du transept

Heureux d’avoir pu notamment sauver des reliques, le chapitre s’active très rapidement à la reconstruction de la cathédrale. En quelques jours un état des lieux est fait, les termes des marchés à conclure avec les ouvriers sont même rédigés. Le 4 août, les chanoines sont déjà prêts à rentrer dans le chœur de l’église. Côté finances, « princes, bourgeois, prélats, prêtres et autres religieux firent assaut de libéralités et montrèrent un généreux empressement à seconder le chapitre. On eut recours aussi dans les diocèses voisins, jusque dans la Flandre, à des quêtes très fructueuses (.) » Alors que son père Louis XI n’avait accordé aucune aide à la ville de Reims -mais sentant sa mort prochaine prit, tout de même la peine de faire venir à lui la Sainte ampoule des sacres et de nombreuses reliques, sans succès,- son fils unique fut plus compréhensif. Pour refaire la cathédrale, Charles VIII ordonna durant huit ans le prélèvement d’un droit sur la gabelle (impôt sur le sel) dans tout le royaume. Mieux : constatant le fort taux de mortalité dans la ville des sacres minée par la famine, il en exempta Reims durant dix ans. En remerciement le toit fut surmonté de fleurs de lys.

Résultat: « En 1492, onze ans plus tard, toute la nef et le chevet étaient surmontés d’une nouvelle toiture. Les combles du transept furent restaurés au début du siècle suivant. »

Faute d’argent, en 1516 les travaux de la cathédrale sont pourtant arrêtés. Impossible d’élever les hautes flèches prévues (sur plan) sur les deux tours du portail. On se contente d’y installer des toitures basses pour les préserver des intempéries. Puis au fil des siècles, on s’efforce avec plus ou moins de bonheur et de bon goût à réparer tous les outrages du temps (voussures des portes, remaniement de la façade). Certains vont même jusqu’à supprimer des éléments admirables (jubé du XVe siècle avec son calvaire, clôture du chœur, autels, verrières du XIIIe siècle).

Lors de la Révolution, la cathédrale dont on ôta les fleurs de lys servira salle de réunion pour la société des Jacobins puis de magasin à fourrage militaire. Elle échappera tout de même au pire car à Reims sur les 39 églises et chapelles qui existaient en 1790, vingt neuf furent détruites. Neuf prêtes furent assassinés.

A la veille de la première guerre mondiale, la cathédrale sans flèche a tout de même ses deux tours qui culminent à 82 m. Elle mesure 149 m de longueur .

3

L’incendie de la cathédrale de Reims du 19 septembre 1914 aurait-il été prémédité ?

On croyait tout savoir sur l’incendie de la cathédrale de Reims survenu le 19 septembre 1914. Ce jour là, un feu d’artifice bleu, vert, orangé, selon la fusion des métaux, détruisit dans un océan de flammes toute la toiture posée sur les poutres en chêne placées en 1481. Il effondra toute la voûte intérieure, dégrada la pierre, défigura des centaines de statues, réduisit en cendres une bonne partie du mobilier de l’édifice, le plomb coulant à flot via les gueules des gargouilles. La lecture des carnets du notaire rémois Louis Guédet resté à Reims durant toute la première guerre mondiale apporte un éclairage intéressant sur l’événement. En bombardant principalement le côté Nord de la cathédrale, les Allemands savaient qu’ils pouvaient très facilement incendier l’édifice.

« Guillaume II au ban de la civilisation »

La charpente de la cathédrale a totalement brulée

Louis Guédet raconte ce qu’il voit le 19 septembre :

Louis Guédet

A 4h 10 je sortais pour voir mon Beau-père (…) Je pars vers la rue des Consuls, on dit que la Cathédrale brûle. J’arrive chez M. Bataille et du premier étage j’aperçois toute la toiture de la Cathédrale en feu : toutes les traverses qui soutenaient la couverture en plomb brûlent et forment comme un retable de langues de flammes. C’est magnifique dans son tragique, le carillon commence à flamber, ainsi que le clocher à l’Ange sud dont voit les langues de feu courir sur les nervures de la bâtisse en bois. Je distingue très bien une dernière langue de feu qui arrive à la pomme du sommet de ce clocher.


Je cours jusqu’à la Cathédrale : tout brûle et le carillon s’effondre dans une gerbe gigantesque. De la rue Libergier où je me dirige l’effet est horrible et inoubliable de grandeur, des flammes qui jaillissent derrière les deux tours qui sont entourées de fumées et éclaircies par un soleil pâle d’automne. C’est grandiose, titanesque. La Grande Rose et la Petite Rose en dessous flamboient devant le brasier qui est à l’intérieur. Les grandes portes du grand portail et celles du petit portail brûlent et paraissent serties d’or et d’ornements de feu et de flammes !
Une plume ne peut décrire cela. La statue de Jeanne d’Arc, dans la fumée et les étincelles du brasier qui tourbillonnent autour d’elle, d’un geste vengeur brandit son épée auquel est attaché et claque au vent un drapeau tricolore.
Je suis bien resté dix minutes à la contempler, impassible sous le brasier. Le grand portail ne paraît pas avoir trop souffert, à part quelques éclatements de détails de statues provoqués soit par la chaleur ou la chute de matériaux qui achèvent de brûler sur la place.
En s’attaquant à notre Cathédrale de Reims, un des Joyaux de la France qui rappelle l’Histoire de tout un Peuple pendant 20 siècles, Guillaume II s’est mis aujourd’hui au ban de la civilisation et cloué au pilori de l’Histoire ! »

Le plomb fondu a coulé dans les gueules des gargouilles

Trois bidons de pétrole dans la tour Nord

Louis Guédet avait toutes les raisons d’être horrifié par cet incendie dont il s’est toujours demandé s’il n’avait pas été doublement prémédité.

Ces trois bidons avaient-ils été oubliés là volontairement pour enflammer la plate forme en bois lors d’un bombardement, le pétrole coulant alors par le trou de la clef de voute pour lécher ensuite l’échafaudage en bois et communiquer le feu à la toiture ?

Ceci expliquerait alors pourquoi les artilleurs allemands se sont appliqués à bombarder surtout la tour Nord de la cathédrale.

S’ils ne savaient pas le 19 septembre que les bidons de pétrole avaient été enlevés ; en bombardant avec des obus incendiaires, ils ont tout de même pu mettre directement le feu à l’échafaudage de la tour dressée en 1913.

Et tout cela, sans se préoccuper du tout du sort des dizaines de blessés allemands hébergés dans la cathédrale et  étendus sur des litières de paille qui elles aussi se sont embrasées lors du bombardement.

Des décennies de travaux

Plus de 300 obus sont tombés entre 1914 et 1918 sur la cathédrale. Heureusement, dès septembre 1914, Henri Deneux, directeur en chef des monuments historiques prend la peine de recueillir tous les fragments des voûtes, des croisés et des sculptures détruites.

Les grands travaux de restauration de l’édifice commencent dès 1919. Grâce à d’importants dons venus principalement des États-Unis (fondation Carnegie et John Rockefeller), mais aussi avec la mobilisation de la société des Amis de la cathédrale, la cathédrale est consolidée en 1920 ; les murs, voûtes et hautes fenêtres restaurées en 1921. Mais c’est en 1927 que la grande nef est rouverte au culte, le transept étant encore clos par un mur. Pour réaliser une nouvelle charpente, l’architecte considérant qu’il n’était pas possible, sans la surcharger dangereusement, de remplacer tout le bois par de grandes fermes en béton, utilise une vieille technique initiée par Philibert Delorme (1). Il construit une charpente avec des petits éléments de béton de 20 cm de long et 4 cm d’épaisseur reliés par un système de mortaises ou d’entaille, de clés en ciment et de clavettes en bois.

Tailleurs de pierre, maçons, sculpteurs s’activent jour après jour pour redonner meilleur visage à l’édifice. En 1937 le cardinal Suhard consacre la cathédrale où avaient été remis après restauration les vitraux que Jacques Simon avait pu démonter avec l’aide des pompiers sous les bombardements.

L’inauguration officielle de la cathédrale a lieu le 11 juillet 1938 avec deux jours de fête. Pour l’occasion le cardinal utilise le précieux calice de Saint Remi, organise une procession d’une cinquantaine de reliquaires. Vingt cinq personnes défilent en portant la lourde châsse de Saint Remi.

On est pourtant loin de la restauration complète … Qui ne se fera sans doute jamais.

En 1954 inauguration du vitrail de la Champagne de Jacques Simon suivie en 1974 par ceux de Marc Chagall.

Et les travaux continuent par tranches successives.

  • (2011) Dans le cadre de la réconciliation entamée dès 1962, inauguration de trois vitraux de Knoebel, artiste de Düsseldorf.
  • (1989-1994 et 1996-1998) : restauration de la galerie des rois et du portail central ;
  • (1991) : La cathédrale de Reims est classée au patrimoine mondial de l’Unesco ;
  • (2001-2005) : restauration du portail sud ;
  • (2013-2016) A l’étage de la rose restauration de la statuaire.

Alain Moyat

(1) Pour faire face à une pénurie de bois en 1581 Philibert Delorme avait remplacé les grandes et grosses pièces de bois habituellement utilisées pour faire des charpentes par des pièces courbes formées de nombreux morceaux de bois de faible épaisseur et de petite dimension. « Des pièces moisées à l’aide de chevilles de bois en chevauchant les joints. Les cerces étant reliées par des liens tenus par des clavettes. » Le plafond d’une chapelle a été fait avec cette technique au cimetière du Nord à Reims et Henri Deneux avait testé cette technique avec succès, mais avec des petites plaques de béton cette fois, pour restaurer l’église Saint Jacques de Reims.

Laisser un commentaire