Le docteur Jean-Baptiste Langlet (1841-1927)

Héroïque Maire de Reims à l’épreuve de la Première Guerre Mondiale

Par Hervé PAUL

1Âgé de 73 ans lors du déclenchement de la Première guerre mondiale en août 1914, le docteur Jean-Baptiste Langlet, maire de Reims depuis 1908, a déjà une longue carrière médicale et politique derrière lui.

Né à Reims le 7 septembre 1841 à Reims, Jean-Baptiste Langlet accomplit sa scolarité au lycée de sa Ville. Très tôt intéressé par la politique tant locale que nationale à l’exemple de son père, il s’engage auprès des Républicains dès le Second Empire. Au début de la IIIème République, il rejoint les Radicaux.

2Il débute son cursus médical après son bac : élève à l’École de Médecine de Reims, étudiant à la Faculté de Médecine de Paris en 1864 puis interne dans différents hôpitaux parisiens. Lors de la guerre avec la Prusse en 1870, il est affecté à la défense de la Capitale lors du Siège de Paris comme médecin  aide-major. Il tient un petit carnet dans lequel il transcrit autant ce qu’il vit que ses impressions pleines de critiques acerbes sur la hiérarchie militaire et la situation catastrophique de la France.

Interne à l’Hôpital Beaujon, il habite au coeur de Paris lors des tragiques évènements de la Commune début 1871. Les courriers entre Jean-
Baptiste et ses parents témoignent de sa vie parisienne et des évènements tels qu’il les vit.

De retour à Reims avec son diplôme en poche, il se marie et s’installe dans le quartier Saint-Remi, puis se tourne rapidement vers la médecine hospitalière et l’enseignement médical, il est membre fondateur de la Société Médicale de
Reims.

3Père de deux enfants, tuteur de ses trois neveux orphelins, médecin hospitalier et enseignant à l’École de médecine de Reims, Conseiller municipal de Reims de 1884 à 1889 dans l’équipe du docteur Henri Henrot, directeur du Bureau d’hygiène, membre et Président du Comité rémois de la Ligue de l’Enseignement, député Radical de 1889 à 1893, de nouveau Conseiller municipal en 1900, le docteur Jean-Baptiste Langlet est un homme hyperactif en cette fin de 19ème siècle, tout dévoué à ses activités médicales, politiques
et familiales.

Auteur de nombreux discours et articles, essentiellement médicaux, dont certains font l’objet de publications, le docteur Langlet est un homme pétri de culture et plein d’idées. A titre d’illustration, l’article « Hôpital ou Musée » paru en 1889 : c’est autant le politicien que le médecin qui argumente sur la nécessité d’un nouvel hôpital pour remplacer l’Hôtel-Dieu de l’époque, installé depuis 1827 dans les locaux de l’ancienne abbaye Saint-Remi. Ces locaux qui n’ont jamais eu lors de leur construction la destination qu’on leur a donnée
feraient un excellent musée où présenter les œuvres d’Art ! Voilà un beau plaidoyer pour un projet qui connaîtra un début de réalisation à la fin de sa
vie avec la construction de l’American Memorial Hospital puis de l’Hôpital
Maison Blanche dans les années 20, mais qu’il ne verra pas aboutir quant à l’installation d’un musée dans les anciens locaux de l’Hôtel-Dieu : l’actuel Musée Saint-Remi n’y sera ouvert qu’en 1978 !

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5Médecin à l’Hôtel-Dieu, Professeur à l’École de Médecine dont il devient le directeur en 1906, il est élu la même année conseiller général de la Marne.
En 1908, le docteur Langlet est élu Maire de Reims, il succède à Charles Arnould (1900-1904) et Adrien Pozzi (1904-1908) dont il a été membre de
leur équipe municipale. Deux cartes postales de la fête de l’inauguration de la fontaine Subé en 1906 montrent le docteur Pozzi et le ministre Léon Bourgeois, sénateur de la Marne, prononçant un discours.

Rattrapé par le scrutin proportionnel qu’il n’a pas voulu initialement, il s’avère un Maire consensuel à la tête d’une assemblée municipale reflétant les  différentes tendances politiques rémoises. Dévoué à sa tâche et apprécié de tous, y compris son opposition, il est réélu en 1912.

Grand amateur d’Art et de préservation du patrimoine, Président d’honneur de la Société des Amis du Vieux Reims dès sa fondation en 1909, membre de l’Académie Nationale de Reims en 1913, il est l’artisan du transfert du Musée, installé à l’étroit à l’Hôtel de Ville, dans les locaux de l’ancienne abbaye Saint-Denis. L’inauguration solennelle du Musée et de la maison de la Mutualité par le Président de la République Raymond Poincaré a lieu le 19 octobre, il visite ce même jour le tout nouveau collège d’athlètes.

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7Lorsque la Première Guerre mondiale éclate en août 1914, le premier magistrat de notre Ville est progressivement confronté à une épreuve dont il ne peut imaginer la durée et la gravité. Le destin de Reims est bouleversé.

Il fait face courageusement à ses responsabilités de maire, gérant les problèmes économiques de ses concitoyens dus à la mobilisation de nombreux jeunes hommes dont les familles se trouvent démunies. La Banque Chapuis émet des tickets « Change rémois » de quatre valeurs et couleurs différentes, reproduits sur une carte postale ci-jointe.

A la veille de l’entrée des Allemands à Reims le 4 septembre, il s’adresse à la population rémoise par voie d’affiche l’exhortant à garder son sang-froid et l’assurant de sa présence à son poste. Dorénavant, il n’a de cesse de se consacrer corps et âme à sa Ville envahie, occupée pendant huit jours du 4 au 12 septembre, et après sa libération le 13 septembre 1914 suite à la victoire de la Marne, assiégée et régulièrement bombardée pendant quatre longues années.

Durant l’occupation, il est l’interlocuteur obligé des Allemands qui s’installent à l’hôtel du Lion d’Or face à la Cathédrale, avec la présence d’édiles rémois garants de leur sécurité. Les relations avec l’occupant sont difficiles, leurs  exigences exorbitantes.

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14La Bataille de la Marne, controffensive menée pour arrêter et repousser l’ennemi, est couronnée de succès et les Allemands se préparent à évacuer Reims réquisitionnant une centaine d’otages choisis parmi les personnalités politiques, économiques et sociales de la Ville et désignés par voie d’affiche.
La retraite allemande s’effectue par le nord-est sans incident et les otages sont libérés entre Reims et Witry-les-Reims la nuit tombée.

Les affiches relatives à l’occupation de Reims ont fait l’objet de reproductions
en cartes postales édités par G. Dubois.
Le 13 septembre, les premiers éléments de la 5ème Armée du général Franchet d’Esperey pénètrent dans le sud de Reims. La Ville est libérée.

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Malheureusement, la retraite allemande s’arrête au nord de Reims, l’ennemi s’accrochant aux forts d’où la Ville va être bombardée pendant quatre longues années.

Le 19 septembre, la Cathédrale en feu, victime d’obus incendiaires devient aux yeux du monde le symbole du martyre de Reims.

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Le docteur Langlet se bat pour maintenir un maximum de présence civile face aux importantes garnisons militaires, malgré le danger lié à la proximité de la ligne de front et aux bombardements quasi quotidiens, et pour mieux sauver et préserver ce qui peut l’être.

L’incendie de l’Hôtel de Ville en mai 1917 oblige le Conseil municipal à se  réunir dans les caves rue de Mars.

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De nombreux Rémois s’y réfugient dès le début des bombardements où la vie s’organise tant bien que mal.

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L’autochrome d’avril-mai 1917 que m’a transmis Olivier Rigaud montre le docteur Langlet sur le perron de l’Hôtel de Ville.

La photo prise dans l’Hôtel de Ville en ruines, parue dans l’Illustration et reproduite en cartes postales, montre le docteur Langlet entouré de
ses deux fidèles adjoints Emile Charbonneaux et Jean Duroy de Bruignac, avec au second plan le secrétaire de mairie Louis Raïssac et MM. Houlon et Lelarge, conseillers municipaux, tous dévoués à leur ville meurtrie et à leurs concitoyens dans l’épreuve.

Le Président de la République se rend à plusieurs reprises à Reims pendant la guerre. La carte postale se fait le témoin de sa première visite après-guerre dans l’Hôtel de Ville en ruines.

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La guerre contribue à réconcilier deux personnalités rémoises, le docteur Langlet et le cardinal Luçon, que tout opposait. Ils se rencontrent pour la première fois en 1917.

C’est contraint et forcé que le docteur Langlet est le dernier civil, avec le Cardinal Luçon, à quitter la Ville lors de la terrible offensive allemande du printemps 1918.

Il est aussi parmi les premiers à revenir dans sa ville ravagée dès la retraite allemande début octobre. Fidèle au poste jusqu’à la fin de son mandat en décembre 1919, il contribue avec une équipe réduite mais dévouée à gérer au mieux sa ville meurtrie par les destructions accumulées et, avant même la paix revenue, à poser les premiers jalons de la reconstruction. Partisan de la restauration du monument emblématique de la Ville, il adhère dès sa création en 1917 à la Société des Amis de la Cathédrale de Reims.

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Le nouveau maire Charles Roche (avec des lunettes) et, derrière lui, le docteur Langlet avec ses deux adjoints Emile Charbonneaux et Jean Duroy de Bruignac. CPA (Coll. Personnelle)

En retraite de la politique active à 78 ans lors des élections municipales de décembre 1919, il se consacre désormais à sa nouvelle activité de Conservateur du Musée des Beaux-arts.

La présidence annuelle de l’Académie Nationale de Reims est proposée au docteur Langlet suite au décès d’Henri Jadart en 1921. Il prononce le discours du Président à la séance solennelle de l’Académie le 27 juillet 1922. Le thème en est la vie et l’œuvre du sculpteur rémois René de Saint-Marceaux, petit-fils de l’ancien Maire de Reims sous la Monarchie de Juillet.
Rare hommage, il voit son nom donné de son vivant en 1924 à une nouvelle artère de la Ville, le cours Langlet.
Le docteur Langlet s’éteint à Reims le 7 mars 1927, âgé de 85 ans. La Ville organise des obsèques officielles et grandioses en hommage à celui que tout le monde regarde comme un « héros civil » de la Grande Guerre.

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2 Comments

  1. C’est un excellent article, superbement illustré de photos que je n’avais jamais vues! La personnalité de cet homme est tout à fait exceptionnelle ; elle devrait inspirer nos responsables et être mieux connue de notre jeune génération qui manque de « héros » positifs simples et « ordinaires ».
    Merci de nous permettre cette redécouverte!

  2. Félicitations pour cet article fort bien illustré. Bien que vous vous soyez intéressé plus particulièrement à son actions pendant la guerre, sauriez vous à quelle date exacte ( sans doute en 1912 ) il est allé visiter les cités-jardins en Angleterre, car avant même de savoir que sa ville serait à reconstruire il s’intéressait au problème du logement et de l’urbanisme.
    Georges Charbonneaux ( frère d’Emile) fondateur du Foyer Rémois soutenu par Langlet a fait aussi ce voyage. L’ont-ils fait ensemble ?
    Tout ce que vous pourriez savoir sur ce sujet m’intéresse.
    merci
    Patrick Chatelin

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