Les anciennes bornes-fontaines rémoises

Par Anne Jacquesson

avril 2025

Illustration 1 – Militaire et deux civils faisant provision d’eau rue Cérès en 1917

La définition d’une borne-fontaine n’est pas simple. S’agirait-il seulement d’une fontaine en forme de borne ? Bien sûr que non : les formes sont variées, cubiques ou cylindriques, avec un sommet arrondi ou plat, décorée ou non, décorative ou pas. Tout comme les fontaines, selon le lieu ou la région, certaines sont en pierre, d’autre en fonte, d’autres encore en béton ou en matériaux divers. On en trouve de très anciennes comme de très modernes. Quelle est la différence entre une fontaine et une borne-fontaine, alors ? Effectivement, la limite n’est pas toujours très claire… La taille pourrait être un critère : on ne peut confondre une fontaine monumentale avec une borne-fontaine ! On exclura donc les fontaines trop grandes. Mais ce sont plutôt des critères fonctionnels et techniques qui permettront de définir une borne-fontaine, à Reims ou ailleurs.  

L’Histoire des premières fontaines rémoises au XVIIIe siècle est connue. Rapidement résumée, il s’agissait d’offrir aux Rémois des eaux courantes, propres à la consommation, en remplacement des eaux putrides fournies par les puits ou par celle de la Vesle, largement polluée, causes d’une importante mortalité à la fin du XVIIe siècle. Le chanoine Godinot (1661-1749) finança la mise en place d’une « usine des eaux », d’un circuit de distribution et des premières fontaines qui furent essentiellement érigées avant 1760. 13 fontaines puis 19 furent successivement prévues, 17 furent construites. Ces fontaines originelles étaient certes destinées à fournir de l’eau potable mais elles devaient également servir à embellir la ville. La taille de ces ouvrages était bien plus importante que le filet d’eau qui s’en écoulait. Leur fonction décorative n’a toutefois pas suffi à les préserver, seules 3 fontaines subsistent aujourd’hui : la fontaine des Carmes (n°11 sur le plan ci-dessous), rue du Barbâtre, récemment restaurée, la fontaine du Marché aux Draps (n°16, qui possède encore d’autres noms), aujourd’hui au musée Saint-Remi, et la fontaine des Boucheries, construite ultérieurement en 1770, aujourd’hui place Paul Jamot.

Illustration 2 – Les fontaines Godinot du XVIIIe siècle (traits verts : tuyaux et numéraux rouges : fontaines).

Ensuite, du XIXe siècle et du début du XXe siècle, on retient généralement l’érection des fontaines monumentales : les 2 fontaines successives de la place Saint-Pierre-les-Dames devenue place Godinot (en 1843 et en 1903), la fontaine Bartholdi (1885), place de la République mais aujourd’hui disparue, et la fontaine Subé (1906), place d’Erlon. De ces fontaines à vocation décorative, l’eau ne coulait que rarement et les fontaines n’étaient aucunement utiles aux habitants dans leur vie quotidienne. D’autres jets d’eau, rarement fonctionnels également, complétaient les fontaines monumentales.

Cependant, parallèlement aux fontaines décoratives, se met en place, dès les années 1840, un vaste réseau de bornes-fontaines destiné à fournir l’eau courante à la population de plus en plus nombreuse. C’est précisément de ces bornes-fontaines dont il est question ici.

Les premières bornes-fontaines

Charles Sarazin, dans Les fontaines élevées à Reims aux XIXe et XXe siècles, souligne la réflexion des édiles rémois pour mettre en place de nouvelles fontaines dès le début du XIXe siècle. Le sacre de Charles X en 1825 semble, selon lui, renforcer cette volonté. Nous sommes ici encore dans une conception ornementale des fontaines. Mais bien vite le point de vue change : en ce début du XIXe siècle, la population de Reims augmente. Si elle était d’environ 25 000 habitants au XVIIIe siècle, au moment de la construction des premières fontaines urbaines, cette population dépasse 31 000 habitants au début du XIXe siècle et s’élève très vite jusqu’à 48 000 vers 1850. Bref, la population double dans la première moitié du XIXe siècle, elle quadruplera avant la fin de ce même siècle. D’évidence les premières fontaines, dites Godinot, ne suffisent plus, d’autant que certaines ne fonctionnent qu’épisodiquement. Il est également nécessaire pour l’industrie naissante de s’approvisionner en eau. Les fontaines monumentales ne servent à rien dans ce contexte.

Illustration 3 – La fontaine des Carmes et sa borne-fontaine avant la première guerre mondiale.

Il faut revoir l’alimentation de la ville, son approvisionnement en quantité, mais aussi élargir le périmètre de distribution de l’eau potable. Dans les années 1830, un projet de développement de l’usine des eaux avec une machine à vapeur fonctionnant à la houille et un nouveau plan de distribution se met en place. En 1841, une liste de 56 bornes-fontaines destinées à offrir de l’eau potable à la population croissante est arrêtée. Les premières bornes-fontaines sont établies en 1843. Certaines bornes-fontaines sont installées près des anciennes fontaines Godinot, telle qu’à la fontaine des Carmes.

La fontaine de la place Saint-Timothée dont l’eau était « courante », comme dans toutes les fontaines, c’est-à-dire coulait en continu (quand l’usine des eaux fonctionnait…) est également munie d’une borne-fontaine en 1881 : l’écoulement de l’eau ne se déclenche plus que par le maniement d’un bouton ou d’une poignée. L’économie d’eau est considérable.  

Dans la première moitié du XIXe siècle, Reims s’étend d’abord sur les jardins des abbayes disparues à l’intérieur de ses remparts. C’est ainsi que les 56 bornes-fontaines sont installées principalement intramuros. Elles offrent un réseau plus dense de points d’eau sur le circuit des anciennes fontaines Godinot mais elles débordent également bien au-delà de l’axe nord-sud initial.  On trouve ces nouvelles fontaines dans les quartiers qui se lotissent, en direction de la Vesle et du futur canal (rue de Thillois, rue des Poissonniers, rue de la Madeleine, par exemple, ou bien dans le quartier Saint-Remi), mais encore en direction des faubourgs (de Laon et Cérès) et même hors remparts, dans le faubourg Cérès.

Illustration 4 – Plan de Reims en 1854. Les points jaunes surajoutés signalent l’emplacement approximatif des 56 bornes fontaines prévues en 1841. Les 17 points rouges surajoutés correspondent aux 16 fontaines Godinot réellement construites + la fontaine des Boucheries.

Les bornes-fontaines sont probablement adossées aux murs des habitations. En avril 1845, le mur du 38 rue de Fléchambault s’écroule suite aux infiltrations d’eau dues aux tuyaux d’une borne-fontaine abîmés par le gel durant l’hiver 1844/1845 [Cote archives municipales : FM1D28 du 10/01/1857]. Il s’en suivra 10 ans de procédure judiciaire afin que le propriétaire puis sa veuve obtiennent réparation du préjudice. A partir de 1844, le réseau est accessible aux particuliers par abonnement mais l’eau courante au robinet reste rare, réservée aux plus riches, d’autant que le système ne permet pas souvent d’élever l’eau dans les étages des habitations. Cependant le changement de point de vue est considérable. Bien sûr, on élève encore quelques fontaines monumentales décoratives, mais l’essentiel des ressources en eau est distribué aux habitants et aux industries naissantes avec un parti pris plus raisonné quant à la gestion des eaux.

Il est difficile de savoir à quoi ressemblaient ces premières bornes-fontaines. Aucuns documents municipaux ne mentionnent le fournisseur ou l’allure de l’objet. Étaient-elles en pierre ? C’est peu probable. Il est permis d’envisager qu’il s’agisse d’objets manufacturés en fonte, étant donné le nombre de 56 bornes fournies. Est-ce la fonderie de Saint-Cybard à Angoulême, propriété de Jean-Marie Cordier, qui les produisit ? C’est en effet à cet ingénieur hydraulicien que la ville fit appel pour restructurer le réseau d’eau et installer des bornes-fontaines à Reims dans les années 1830/1840. Cordier eut libre cours pour gérer l’ensemble du dossier, y compris les bornes-fontaines. C’est ainsi que les documents rémois sont muets à ce sujet. Au long des décennies, beaucoup des bornes-fontaines primitives furent sans doute remplacées et celles que l’on voit sur les photos de la fin du XIXe ou du début du XXe siècles ne sont peut-être pas celles d’origine. Certains, indices laissent cependant penser que les premières bornes fontaines ressemblaient fortement à celles d’avant-guerre. Dès 1841, il est décidé d’installer 2 bornes-fontaines sur la place de l’Hôtel de ville. Celles-ci prennent place, comme déjà évoqué, à partir de 1843. Une photo d’Amédée Varin, ci-dessous, prise vers 1854, environ 10 ans plus tard donc, montre une des deux bornes-fontaines disposées devant l’Hôtel de Ville.
Sa silhouette (taille et forme) est très proche des bornes-fontaines du début du XXe siècle.

Illustration 5

Pour en finir avec cet exemple, le positionnement des 2 bornes est confirmé par un plan de 1888, ci-dessus.  Les 2 bornes, ou leurs remplaçantes de même style, seront présentes sur la place jusqu’au début du XXe siècle, vers 1909, les cartes postales en témoignent.

Illustration 6 – Les 2 bornes fontaines de l’hôtel de ville sur une carte postale envoyée en 1906. Les bornes-fontaines n’apparaissent plus sur les cartes de 1909 lors de la Grande semaine de l’Aviaton.

Mais revenons à l’époque de la mise en place de ces premières bornes, en 1843. Cette même année, la ville commande une fontaine monumentale en fonte destinée à la place Saint-Pierre-les-Dames, juste renommée place Godinot. Si le dessin de la fontaine est de Narcisse Brunette, architecte de la ville, la fonderie est meusienne. Il s’agit de la fonderie Muel-Wahl de Tusey, célèbre à l’époque pour avoir fondu en 1837-1838 les deux fontaines ainsi que les seize colonnes rostrales de la place de la Concorde (toujours en place aujourd’hui). La fonderie de Tusey édite vers cette époque un catalogue où sont visibles des modèles de bornes-fontaines à l’allure générale semblable à celles de Reims. Il existe des catalogues d’autres fonderies, publiés dans les années 1830/1840, où des modèles similaires de bornes-fontaines sont proposés (catalogue J.P.V. André, catalogue Ducel…). Peut-être même ces fontaines sont-elles de fabrication locale ? Hélas, les documents manquent.

Les bornes-fontaines d’avant-guerre

Les fontaines Godinot du XVIIIe siècle et les premières bornes-fontaines du XIXe siècle étaient concentrées dans le centre-ville ancien, lorsque Reims tenait encore dans ses remparts. Au XIXe siècle, très vite les usines qui remplacent les abbayes intramuros sont à l’étroit, les faubourgs industriels se développent. Ils accueillent nouvelles usines et populations ouvrières. Le réseau d’eau doit conduire jusqu’à eux.

Après la démolition des remparts, la construction du canal, de la voie ferrée, et le développement des industries dans la seconde moitié du siècle, le réseau de bornes-fontaines s’étend largement vers les faubourgs et se démultiplie encore dans les quartiers les plus peuplées. Sur un plan de 1888, on compte environ 160 bornes-fontaines.

Illustration 7 – Extrait du plan de Reims de 1888, côté faubourg Cérès, avec indication des conduites d’eau, bornes fontaines et égouts. Chaque petit point rouge représente une borne-fontaine, les traits rouges indiquent les canalisations d’eau potables et les traits bleus les égouts.

Il y aurait eu jusqu’à 250 bornes-fontaines à Reims en 1914.  De nombreuses photos et cartes postales du début du XXe siècles nous en montrent certaines. Il faut parfois ouvrir l’œil pour les repérer !

32 images avec bornes-fontaines sont répertoriées sur le plan de 1895 ci-dessous, à l’aide de petits triangles en surimpression (triangle rouge : photo d’avant-guerre, triangle jaune : photo de 1914 à 1918). Ces images sont visibles à la suite du plan et sont donc classées par cantons.

Illustration 8
  • Centre-ville : 3 cartes postales d’avant-guerre (rue de l’arbalète, place d’Erlon et rue de Thillois) et 2 prises en 1918 (rue de la Grosse-Ecritoire et bas de la rue de Vesle).
  • Dans le faubourg de Paris : 2 cartes postales d’avant-guerre (porte de Paris et église Sainte-Geneviève).
Illustration 9 – La rue de l’Arbalète avant la première guerre mondiale.
Illustration 10 – Place d’Erlon, avant l’installation de la fontaine Subé, donc avant 1906.
Illustration 11 – Hôtel de ville après l’incendie de mai 1917, vue de l’arrière : rue de la grosse écritoire.
Illustration 12 – Rue de Vesle après-guerre, vue du Pont au-dessus du canal.
Illustrations 13 et 14 – Rue de Thillois et église Sainte-Geneviève avant 1914.
Illustration 15 – Avant la 1ère guerre mondiale, la Porte Paris.
  • En Centre-ville : 6 images de bornes dans les décombres de la guerre (2 prises rue Cérès, à l’angle de la rue Rogier, 2 prises rue des Filles-Dieu, 1 à la caserne Colbert et 1 à l’angle de la rue Montoison et de la rue de l’Ile).
  • Dans le faubourg Cérès : 1 image datant d’avant-guerre (porte d’octroi Cérès, place Brouette) et 4 images prises durant la guerre (angle de la rue de Cernay et de la rue du faubourg Cérès, dispensaire de la place Brouette, angle du boulevard Carteret, anciennement Jamin, et de la rue de Prieur-de-la Marne, anciennement rue de Cormicy, dernière barricade rue du Faubourg Cérès, aujourd’hui 172 avenue Jean Jaurès).
Illustrations 16 et 17 – Photographie de gauche, angle rue Cérès-rue Rogier. C’est à cette même fontaine de la rue Cérès que le militaire se rafraichissait en 1917 sur la photographie de droite lorsque la maison derrière lui était encore debout.
Illustrations 18 et 19 – Carte postale de la rue des Filles-Dieu et photographie de la même rue en 1917. Il s’agit donc de la même borne-fontaine prise de chacun des côtés de la rue.
Illustration 20 – Caserne Colbert.
Illustration 21 – Coin des rues Montoison et de l’Isle pendant l’été 1915. 
Illustration 22 – Porte d’octroi Cérès avant-guerre (aujourd’hui le lieu est nommé place Brouette et l’octroi a disparu).
Illustration 23 – Tantôt nommé dispensaire, tantôt poste de police, nous avons observé plus haut le bâtiment jumeau et symétrique (octroi Cérès) avant-guerre qui possédait lui aussi sa borne-fontaine. Ces deux bâtiments, aujourd’hui disparus, se trouvaient près de la bibliothèque Holden, place Brouette.

Plus encore qu’un plan, la succession des images montre bien la position stratégique des bornes-fontaines, aux croisements des rues, sur les places, près des bâtiments publics ou des églises. L’objectif est, bien sûr, pour les édiles, d’optimiser le nombre de bornes, de façon à approvisionner un maximum de personnes mais le rôle social de ces bornes-fontaines n’est pas non plus à sous-estimer :  c’est autour d’elles et aux carrefours des rues que les gens se rassemblent.    

Illustration 24 – Angle du boulevard Carteret (boulevard Jamin) et de la rue Prieur-de-la-Marne (alias rue de Cormicy sur le plan).
Illustration 25 – Angle du Faubourg Cérès (aujourd’hui avenue Jean Jaurès) et de la rue de Cernay.

Deux exemples encore de bornes-fontaines aux coins des rues.

Évidemment, des bornes jalonnent également les rues très longues comme les avenues et les boulevards.

Illustration 26 – Il s’agit actuellement du 172 avenue Jean Jaurès.
  • En centre-ville : 5 datant d’avant-guerre (rue Gambetta, rue du Barbâtre et 3 rue Fléchambault dans le quartier Saint-Remi) et 4 prises durant les hostilités (2 rue du Gambetta et 2 rue du Barbâtre).
  • Dans le faubourg Fléchambault : 1 image d’avant-guerre montre la rue de la Briqueterie (en face de l’église Sainte-Clothilde).
Illustration 27 – Rue Gambetta, vers 1913
Illustration 28 – La rue Gambetta en 1917. Même endroit que la carte postale ci-dessus. Il s’agit donc de la même borne-fontaine.
Illustration 29 – La rue Gambetta en avril 1918. La photo est prise un peu plus bas dans la rue, près de la place des six cadrans (loges Coquault)
Illustration 30 – Rue du Barbâtre vers 1913.
Illustration 31 – La rue du Barbâtre en septembre 1914
Illustration 32 – « La rue du Barbâtre au lendemain de l’Armistice de 1918. La vue est prise en direction du centre-ville et montre l’angle de la rue du Bailla, tout de suite sur la droite », précise le site ReimsAvant. Le photographe est donc situé tout en haut de la rue du Barbâtre, à proximité de la rue des Salines.
Illustration 33 –  Bas de la rue Fléchambault avant-guerre.
Illustrations 34 et 35 – En haut de la rue Fléchambault, à proximité de la Basilique Saint-Remi. Les 2 images datent d’avant-guerre et montrent la même borne-fontaine.
Illustration 36 – Devant l’église Sainte-Clothilde.

(Faubourg de Laon et faubourg Clairmarais, c’est-à-dire de l’autre côté de la voie ferrée), 4 images : 2 dates d’avant-guerre (rue du Mont-d ’Arène et école maternelle de la rue de Romains), 2 montrent les ruines après-guerre (rue du Mont-d ‘Arène et rue de Cormicy, aujourd’hui Paul Vaillant-Couturier).

Illustration 37 – Rue du Mont d’Arène avant-guerre.
Illustration 38 – Rue Mont d’Arène en 1917.
Illustration 39 – L’école maternelle fut construite par Narcisse brunette en 1888 et, d’après les délibérations municipales, la borne-fontaine fut posée vers 1901. L’école maternelle, ci-dessus avant-guerre, est aujourd’hui démolie.
Illustration 40 – Rue de Cormicy, aujourd’hui rue Paul Vaillant Couturier, vers 1918.

Jusqu’en 1913, à la veille de la première guerre mondiale, la commune continuera à installer des bornes-fontaines, souvent à la demande des habitants, qui, parfois, paient une partie des frais d’installation. Environ 25 demandes de pose de bornes-fontaines sont ainsi relatées dans les délibérations municipales entre 1889 et 1913, sans compter celles que le service des eaux installe sans demande spécifique.

Durant la guerre 1914-1918, des bornes-fontaines sont détruites ou ensevelies sous les gravats, le réseau d’eau est anéanti.

Incontestablement, les bornes-fontaines d’avant-guerre sont toutes très similaires. Un bouton poussoir est situé au-dessus de la borne. La face de la fontaine comprend un bec d’où jaillit l’eau dans la partie supérieure et, peut-être, plus bas, une bouche à eau accessible aux pompiers. Les éléments décoratifs semblent ne garnir qu’une face. Les bornes-fontaines sont généralement situées en bordure de trottoir côté chaussée. Ainsi, après avoir placé son récipient sous le bec de fontaine, l’usager peut se placer derrière la borne afin d’appuyer plus commodément sur le bouton poussoir sans avoir les pieds mouillés. De plus, le trop plein d’eau vient se déverser dans le caniveau et non sur le trottoir. L’inconvénient des murs de maisons infiltrés par les eaux est également évité, on se souvient de l’affaire de la rue Fléchambault lors de la pose des toutes premières bornes adossées aux maisons en 1843.

Illustrations 41 et 42

Après la première guerre mondiale, lors de la reconstruction de la ville, l’eau courante est installée dans la plupart des habitations. Le nombre de bornes-fontaines diminue considérablement : 191 sont supprimées. Pour autant, la ville conserve des points d’eau accessibles aux plus démunis, à ceux qui tarderont à être dotés de l’eau courante au robinet (vieux quartiers, maisons épargnées par les bombes), pour désaltérer les promeneurs (dans les parcs et les jardins), dans les cimetières, etc… Les bornes-fontaines ne disparaissent donc pas pour autant entièrement du paysage urbain.

Dès la fin du XIXe siècle, certaines bornes-fontaines du modèle standard observable sur les cartes postales précédentes vont être remplacées par d’autres jugées plus élégantes. En effet, lors de l’Exposition industrielle régionale de Reims en 1876, la ville fait installer une fontaine Wallace dans les jardins des Promenades. La fontaine Wallace, créée en 1872 à Paris et produite par la fonderie du Val d’Osne en Haute-Marne, connaît un large succès, bien au-delà de Paris.

Illustrations 43 et 44

Le maire de Reims propose donc de racheter cette fontaine en 1876. D’autres fontaines du même type seront achetées en 1901 et après-guerre, en 1929, pour être installées dans différents quartiers de la ville. En 1933, Charles Sarazin écrit : « On peut, parmi les fontaines modernes de Reims, citer ces fontaines de type Wallace, érigées dans les promenades, dans le jardin de la Patte d’Oie et, récemment, en différents points de la ville. Elles sont destinées à remplacer, pour la commodité du public, les bornes-fontaines que nous avons vu disparaître au cours de ces dernières années. » On s’interroge sur ce que Charles Sarazin entend par « la commodité du public » ! Certes la fontaine Wallace est suffisamment haute pour se voir de loin mais elle est conçue pour qu’il soit impossible d’introduire un seau entre les quatre petites cariatides. Il s’agit uniquement d’une fontaine à boire. C’est d’ailleurs pourquoi une borne-fontaine, plus pratique pour s’approvisionner en eau, sera éditée par la fonderie du Val d’Osne (rachetée par Durenne et devenue aujourd’hui GHM). La ville de Reims possède encore actuellement 7 fontaines Wallace : Square Charles Sarrazin (rue Pluche), Square Georges Jantzy (entre la rue Ponsardin et le boulevard Victor Hugo), Parc de la Patte d’Oie, Place Jules Ferry, Place Saint-Thomas, Place Luton, et à l’angle de l’avenue Clemenceau et du boulevard Saint-Marceau. Elles ne sont plus en eau.

Illustrations 45 et 46

Une autre borne-fontaine, dans un style cher aux fonderies du XIXe siècle, se trouve actuellement sur la place Amélie Doublié. Comme les fontaines Wallace, il s’agit d’une production de la fonderie du Val d’Osne. C’est une fontaine d’applique, c’est-à-dire qui s’appuie contre un mur. Un muret rappelant la silhouette des anciennes bornes-fontaines a été construit pour ce faire. L’introduction de cette borne-fontaine « de luxe » place Amélie Doublié semble relativement récente

En 2025, les bornes fontaines accessibles au public dans l’espace urbain rémois (Reims et les communes limitrophes) sont au nombre d’une cinquantaine environ (sans compter les cimetières qui possèdent chacun jusqu’à 10 bornes-fontaines) et sont géolocalisables en ligne. Elles sont pourvues d’eau potable, contrairement aux 23 fontaines décoratives dont les circuits d’eau sont fermés. A destination du public, elles ont la forme d’une courte colonne, sont anti-gaspillage et incongelable. Elles se situent essentiellement dans les parcs et jardins. Elles sont principalement de deux types : à volant et à bouton. En 2017, il y eut pendant quelques temps une borne-fontaine d’eau pétillante au parc Léo Lagrange.

Illustration 47

Les bornes-fontaines sont généralement des éléments urbains oubliés, ou que chacun voit à peine. Trop modestes, trop populaires et trop communes, elles n’offrent aucun intérêt pour qui veut vanter son clocher ! Si elles sont visibles sur certaines photographies et cartes postales, c’est que le photographe n’y a lui-même pris garde…

Illustration 48 – Lithographie, Les bornes-fontaines n°12 de l’album Les Embellissements de Paris, Bouchot Frédéric, musée Carnavalet.

Les artistes ne les représentent pas, sauf quelques talents sachant profiter de leur force symbolique. Les archives à leur sujet sont rares et incomplètes. Pourtant, aux XIXe et XX siècles, les bornes-fontaines ont été indispensables au développement des quartiers populaires et ouvriers, au succès des jardins publics, à la transformation des villes. Aujourd’hui encore, elles sont toujours-là, jouant un rôle différent mais essentiel dans les villes qui surchauffent ou dans l’activité physique des urbains trop sédentaires. Ces bornes-fontaines permettent aussi aux exclus de notre « société d’abondance » de ne pas mourir de soif. Elles rendent donc encore de multiples services. De plus, leur présence participe discrètement, sans ostentation aucune, au décor familier de nos quartiers.

Contrairement à la « grande » fontaine qui coule en continu, la borne-fontaine est un élément urbain technique, située stratégiquement au carrefour des rues ou dans les parcs, qui vise à l’efficacité dans l’approvisionnement des masses populaires de la ville industrielle. Elle est modeste, petite et économe : elle distribue l’eau avec modération puisqu’il faut sans cesse déclencher l’écoulement du jet. Mais la borne-fontaine fut aussi un lieu de rencontre, de rassemblement et d’échanges informels, bien plus que la fontaine monumentale. Elle dit encore et toujours que l’eau est un bien commun. Aujourd’hui comme hier, elle porte les valeurs de partage et de solidarité.

Bibliographie

Sarazin Charles, Les fontaines élevées à Reims au XIXe et XXe siècles, Matot-Braine, 1933, Carnegie fond local, cote RBP 918 ou 45 ou 761.

Cordier Jean-Marie, Mémoire de 1848 publié par M. Cordier, entrepreneur des fontaines publiques, Archives municipales et communautaires, cote bl551

Illustrations :

Illustration 1 : Fontaine ; Militaire et deux civils faisant provision d’eau rue Cérès, Paul Castelnau, 04/04/1917, Plateforme ouverte du patrimoine.

Illustration 2 : Les fontaines Godinot du XVIIIe siècle (traits verts et numéraux rouges). Plan des tuyaux numéroté FAC695L26, © Archives municipales et communautaires de Reims. Dans La tour Féry : de l’ombre à la lumière, Direction de la Communication de la Ville de Reims, juin 2021.

Illustration 3 : La fontaine des Carmes et sa borne-fontaine avant la première guerre mondiale. Image issue de https ://www.fondation-patrimoine.org/les-projets/fontaine-des-carmes-a-reims/78491

Illustration 4 : Plan de Reims 1854, Archives municipales et communautaires, cote 1Fi466.

Illustration 5 : extrait du plan de Reims 1854 (voir page 4) et Photo de Pierre Amédée Varin, Hôtel de Ville, Reims, vers 1854, épreuve sur papier salé à partir d’un négatif papier, contrecollée sur carton, © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Alexis Brandt.

Illustration 6 : Carte postale de l’Hôtel de Ville envoyée en 1906. Site ReimsAvant.

Illustration 7 : Extrait du plan de Reims de 1888, côté faubourg Cérès, avec indication des conduites d’eau, bornes fontaines et égouts (Fond iconographique Carnegie, cote XXXII_III_v_9_).

Illustration 8 : Plan de Reims divisé en 4 cantons, 1895, bnf, Gallica.

 Illustration 9 : La rue de l’Arbalète avant la première guerre mondiale. Carte postale extraite du site ReimsAvant.

Illustration 10 : Place d’Erlon, avant l’installation de la fontaine Subé, donc avant 1906, carte postale, collection particulière.

Illustration 11 : Hôtel de ville, vue de l’arrière : rue de la grosse écritoire, carte postale extraite du site ReimsAvant.

Illustration 12 : Carte postale Rue de Vesle, vue du Pont. ReimsLe Vay.19192 Fi 454/1315Archives départementales de la Marne.

Illustration 13 : Rue de Thillois, carte postale extraite du site ReimsAvant.

Illustration 14 : Église Sainte-Geneviève, carte postale extraite du site ReimsAvant.

Illustration 15 : Carte postale de la Porte Paris.2 Fi 454/1333Archives départementales de la Marne.

Illustration 16 : Photographie extraite du site ReimsAvant, angle rue Cérès-rue Rogier.

Illustration 17 : Photographie d’un militaire se rafraîchissant à une fontaine rue Cérès, 04/04/1917, Paul Castelnau, POP : la plateforme ouverte du patrimoine.

Illustration 18 : Rue des Filles-Dieu, carte postale extraite du site ReimsAvant.

Illustration 19 : Photographie de, Paul Castelnau, le 23/03/1917, POP : la plateforme ouverte du patrimoine.

Illustration 20 :  : carte postale de la caserne Colbert, extraite du site ReimsAvant.

Illustration 21 : Photographie du coin des rues Montoison et de l’Isle, photographe : Paul Queste.  La photographie est issue du reportage suivant : « A Reims et à Bétheny pendant l’été 1915 ».  Site : Images Défense.

Illustration 22 : Porte d’octroi Cérès avant-guerre (aujourd’hui le lieu est nommé place Brouette et l’octroi a disparu). Carte extraite du Site ReimAvant.

Illustration 23 : Carte postale du dispensaire de la place Brouette, Archives municipales de Reims.

Illustration 24 : Carte postale de l’angle du boulevard Carteret (boulevard Jamin) et de la rue Prieur-de-la-Marne (alias rue de Cormicy sur le plan). Archives municipales de Reims.

Illustration 25 : Carte postale de l’angle du Faubourg Cérès (aujourd’hui avenue Jean Jaurès) et de la rue de Cernay. Sans date. https ://fonds-archives.reims.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi275/ILUMP3733

Illustration 26 : Carte postale extraite du site ReimsAvant qui précise qu’il s’agit actuellement du 172 avenue Jean Jaurès.

Illustration 27 : Carte postale de la rue Gambetta, vers 19013, extraite du site ReimsAvant.

Illustration 28 : Photographie Reims, Marne, Champagne, France Boutiques, rue Gambetta, 1917 – Marne – Fernand Cuville (section photographique des armées).

Illustration 29 : Photographie, Reims. Marne. La rue Gambetta. Au fond, la cathédrale, Amédée Alphonse Eywinger, avril 1918, Images Défense.

Illustration 30 : Rue du Barbâtre vers 1913, carte postale extraite du site Généanet.

Illustration 31 : Carte postale La rue du Barbâtre en septembre 1914, collection particulière.

Illustration 32 : Photo Gallica.bnf.fr (Agence Rol). « La rue du Barbâtre au lendemain de l’Armistice de 1918.

Illustration 33 : Carte postale REIMS. 1048. Rue Fléchambault / Aqua-Photo – L.V. et Cie, Paris.2 Fi 454/471Archives départementales de la Marne.

Illustration 34 : Carte postale montrant le haut de la rue Fléchambault, à proximité de la Basilique Saint-Remi, extraite du site ReimsAvant.

Illustration 35 : Photographie extraite du site ReimsAvant, collection de JJ Valette.

Illustration 36 : Carte postale de la rue de la briqueterie, extraite du site ReimsAvant.

Illustration 37 : Rue du Mont d’Arène avant-guerre, carte postale extraite du site Généanet.

Illustration 38 : Photographie, Reims (Marne). Rue Mont d’Arène, Ernest Eugène Baguet, reportage du 31/08 au 05/09/1917. Images défense.

Illustration 39 : École maternelle et la rue de Courcelles, carte postale extraite du site ReimsAvant.

Illustration 40 : Carte postale de la rue de Cormicy, extraite du site ReimsAvant.

Illustration 41 : Dessin de fontaine Wallace, extrait du catalogue Val d’Osne de 1892, planches 517.

Illustration 42 : La fontaine Wallace du jardin de la Patte d’Oie, photo Anne Jacquesson, avril 2025.

Illustration 43 : Dessin de la borne-fontaine style Wallace, extrait catalogue Val d’Osne 1892, planche 517.

Illustration 44 : Borne fontaine style Wallace, photographie Anne Jacquesson, avril 2025.

Illustration 45 : Dessin fontaine d’applique, catalogue Val d’Osne de 1892, planche 526.

Illustration 46 : Photo de la fontaine d’applique de la place Amélie Doublié, Anne Jacquesson, octobre 2022.

Illustration 47 : 4 photos de bornes-fontaines, Anne Jacquesson, mars 2025.

Illustration 48 : Lithographie, Les bornes-fontaines n°12 de l’album Les Embellissements de Paris, Bouchot Frédéric, musée Carnavalet.

Illustration 49 : Rue de Reims en ruines, Paul Hubert Nicolas LEPAGE (Fumay, 1878/04/04 – Paris, 1964/06/30), 1ère moitié 20e siècle, Musée des Beaux-Arts de Reims (inv. 981.21.176),

Illustration 49

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