Les décrottoirs de Reims

Par Anne Jacquesson, août 2020

Rémoise, professeur des écoles de longue date, enseignante à l’école du Jard, je suis curieuse de tout ce qui concerne l’urbanisme et l’architecture. Je suis à l’origine de la plaquette éditée par la ville de Reims sur l’architecture du lycée Clemenceau. Dans le cadre des 60 ans de « Clem », j’ai conçu l’exposition sur la construction du lycée.  

Fixés près de la porte d’entrée, les décrottoirs sont des lames de fer qui permettent de gratter les semelles de ses chaussures avant d’entrer dans un bâtiment. On les trouve le plus souvent en façade de maisons, d’immeubles, d’églises ou de casernes.  

Les décrottoirs seraient apparus à la fin du XVIIIe siècle, en même temps que les trottoirs. A l’époque où se développe le goût pour la promenade et où l’hygiénisme fait son apparition, les rues des villes sont encore encombrées de voitures à chevaux, de carrioles tirées par des ânes ou des chiens, de détritus en tous genres provenant des ateliers, des fabriques et des manufactures. Il ne faut pas oublier non plus la livraison du bois de chauffage puis du charbon, directement déversés dans les caves depuis la rue. A la fin du XIXe siècle, les rues ne sont pas encore toutes pavées, particulièrement dans les faubourgs industriels construits à cette époque et le nettoyage des trottoirs, quand ils existent, revient aux propriétaires… Tout cela perdure bien après la première guerre mondiale. Pour exemple, en 1925, 35 chevaux sont nécessaires pour l’enlèvement quotidien des ordures dans les rues de Reims
(note 1 : Archives municipales et communautaires de Reims, en ligne, date : 17/04/1925, N° d’ordre : 1925/129, cote archive : 171W3, 3 documents numériques associés).

Puis, les conditions de vie évoluant vers une meilleure hygiène des rues, l’avènement de l’architecture moderne rejetant les éléments décoratifs au profit du plan lisse, peu à peu l’usage des décrottoirs disparaît dans les années 1930, ainsi que la production en masse de ces objets.

Les premiers décrottoirs sont sans doute l’œuvre de ferronniers locaux qu’on pouvait encore trouver installés en centre-ville à cette époque. Cependant, le développement de l’industrie métallurgique et la vente sur catalogues va permettre, dès le milieu du XIXe siècle, de se procurer des décrottoirs fabriqués en séries dans des établissements spécialisés : ferronneries ou fonderies.

Ces industries distinguent les « décrottoirs » des « gratte-pieds », termes que l’on prend souvent pour synonymes. Contrairement aux décrottoirs, les gratte-pieds des catalogues industriels sont des grilles, posées sur le sol. Ils ont la même fonction, débarrasser les chaussures de la boue, mais les objets sont très différents. Il ne sera ici question que des décrottoirs tels que définis au premier paragraphe.

On peut observer des décrottoirs dans de nombreuses communes, villes ou villages, en France comme dans une grande partie de l’Europe ou sur d’autres continents. Cependant, chaque lieu possède sa spécificité en matière de décrottoirs ! En effet, en France, le règlement concernant la petite voirie est différent d’un endroit à l’autre puisqu’il est municipal. D’autre part, les ferronneries et fonderies locales qui ont la préférence des revendeurs locaux, et des acheteurs par conséquent, proposent des produits distincts. Enfin, les conditions climatiques et les événements historiques déterminent l’emploi, la mise en place ou la destruction à des époques variées de ce petit patrimoine. C’est ainsi qu’on ne trouve presque pas de décrottoirs à Paris (j’en ai localisé une dizaine seulement) puisque le règlement municipal en prohibe strictement la présence dès le début du XIXe siècle. C’est encore pourquoi les décrottoirs de Bruxelles, de Rome ou d’ailleurs, sont si différents de ceux de Reims !

Les spécificités des décrottoirs rémois

En 1850, dans une délibération du conseil municipal de Reims (note 2 : Archives municipales et communautaires, en ligne) , il est question d’un projet de règlement de police de grande et petite voirie qui rassemblerait des directives devenues indispensables à ce sujet, au-delà des décrets antérieurs sur des sujets de voirie spécifiques. Ce texte rappelle que l’étude d’un tel règlement est en cours depuis plus de 8 ans à la date du 25 avril 1850, depuis la mise en place d’un plan de grande voirie dont la préoccupation essentielle est l’alignement des rues. Un règlement est adopté en 1851. Quarante ans plus tard, ce premier règlement est devenu insuffisant car la ville a plus que doublé sa population et sa superficie : les faubourgs se développent avec l’industrialisation de la ville, l’arrivée du chemin de fer et la construction du canal. En mars 1894, le nouveau règlement de voirie est promulgué. Enfin, pour les années qui nous intéressent, un troisième et dernier règlement est mis en place, après la première guerre mondiale, en 1922, au moment de la Reconstruction. Que disent ces différents textes municipaux à propos des décrottoirs ?

Alors qu’un règlement de police des voiries parisien dit, en 1824 (note 3 : Ordonnance de police concernant les saillies sur la voie publique dans la ville de Paris, datant du 9 juin 1824 -suite à une ordonnance royale du 24/12/1823-) Les décrottoirs sont fort dangereux : ils n’ont jamais été autorisés et ils ne peuvent l’être. », les textes rémois ne mentionnent jamais explicitement l’objet. Ils règlementent les « saillies » sur la voirie, à l’image des textes parisiens ultérieurs qui servent de modèle à Reims comme dans de très nombreuses villes de province ou étrangères.  Chaque règlement rémois successif contient un chapitre consacré à ce sujet.

Le règlement de 1851 (note 4 : Archives municipales et communautaires de Reims, en ligne, date : 15/06/1850, N° d’ordre : 1850/106, cote archive : FM1D22, 5 documents numériques associés) : stipule à plusieurs reprises que : « Les perrons en saillie sur la voie publique sont défendus. » (article 22), « Il ne pourra être établi pour accéder aux maisons, de marches faisant saillies sur le trottoir. » (article 44). Il s’agit de ces marches débordantes, si courantes dans les quartiers de Reims construits avant la première guerre mondiale. Or, les décrottoirs se situent au plus près de l’entrée de la maison, au plus près de ces perrons en saillie. Ils ne dépassent guère le débordement de la marche, surtout s’ils sont dissimulés dans une niche.

Étant donné le nombre de maisons construites avec ce type de perron débordant sur la voirie jusqu’au début du XXe siècle, le règlement de 1851 n’a pas été respecté dans ce domaine. Et les décrottoirs, protégés par leur marche, se sont multipliés.

Le règlement de 1894 (note 5 : Archives départementales de la Marne, site de Châlons-en-Champagne, Bibliothèque historique, cote Chp 6685), au chapitre IV :  Saillies tolérées, admet de nombreuses saillies décoratives sur la façade des maisons. C’est le goût architectural de l’époque. Un long tableau en donne les dimensions strictes. En ce qui concerne les perrons, l’article 24 déclare que : « Il est interdit d’établir ou de réparer des marches, bornes, perron, entrée de caves ou tous ouvrages en saillie sur l’alignement et placés sur la voie publique. ». Mais il précise aussi que « Néanmoins, il pourra être fait exception à cette règle », entre autres lorsqu’il s’agit d’ouvrages existants ou qu’il n’y a pas moyen de faire autrement… Bref, le perron débordant et son décrottoir attenant persistent.

Après la première guerre mondiale et les innombrables destructions, la plupart des maisons ont besoin de travaux. Dans beaucoup de cas, il s’agit de reconstruire (et d’augmenter) les étages endommagés par les bombardements mais les rez-de-chaussée, avec leur marche débordante, sont souvent conservés. On rebâtit à partir de ce qui reste quand il n’est pas utile de tout refaire. En pleine Reconstruction, le règlement de voirie de 1922 (note 6 : Document personnel), rendu nécessaire par la Loi du 14 mars 1919 relative à l’établissement des plans d’extensions et d’aménagements des villes, reprend l’essentiel du texte de 1894 en ce qui concerne les « marches, bornes, etc., en saillie » (article 37) : « Il est interdit, en dehors du gabarit, d’établir, de remplacer ou de réparer des marches, bornes, perrons, entrées de caves ou tous ouvrages en saillie sur l’alignement et placés sur la voie publique. » Or, le « gabarit » auquel il est fait référence, renvoie à l’article 23 qui permet de calculer les mesures des saillies autorisées en façade des maisons ou immeubles neufs, y compris en partie basse. De plus, des exceptions assez similaires à celles de 1894 s’appliquent aux marches débordantes des bâtiments plus anciens. Ainsi, clairement, les marches en saillie et leurs décrottoirs attenants sont encore autorisés, même si l’on constate un rétrécissement significatif du débordement sur la voirie.

Ainsi, non seulement les décrottoirs sont tacitement autorisés mais ils prolifèrent. Sans doute, les rues ne sont plus en bon état : la reconstitution des chaussées, commencée en 1920, se poursuit au-delà de 1925. Peut-être aussi, le goût des nouvelles façades incline-t-il à la mise en place de ce petit élément qui peut être très décoratif tandis qu’une certaine nostalgie pousse à retrouver un objet si caractéristique des temps d’avant. Des rues entières se parent discrètement des mêmes décrottoirs fabriqués en série par les industries locales renaissantes.   

Les ferronneries et fonderies industrielles proches de Reims sont celles des Ardennes et de Haute-Marne. Ce sont principalement les ferronneries et fonderies ardennaises de Charleville et de la conurbation Vivier-au-court/Vrigne-aux-Bois qui vont fournir Reims en décrottoirs manufacturés. Dans une moindre mesure, des exemplaires en provenance de Sommevoire et du Val d’Osne (Haute-Marne) ornent encore la façade de maisons et immeubles rémois. Certainement, les ferronneries et fonderies rémoises ont elles-mêmes proposé des décrottoirs. Malheureusement, sans catalogues conservés ni marques de fabriques, il est impossible de les identifier.

On distingue à Reims, deux grands types de décrottoirs : les décrottoirs en saillie (qui débordent du nu du mur) et les décrottoirs à niche.

Les décrottoirs en saillie sont principalement en fer forgé. Ils ne portent aucune marque de fabrique.

Les plus simples sont formés d’un seul élément métallique, coudé, plié ou arqué. Les établissements Hénon Frères, usine de ferronnerie à Cons-la-Grandville dans les Ardennes en proposent dans leurs catalogues jusque dans les années 1930. Ces décrottoirs basiques ne sont donc pas forcément les plus anciens, leur vente se poursuivant en parallèle avec celle de décrottoirs à niche, plus décoratifs. S’ils empiètent légèrement sur le trottoir, ils sont placés parallèlement au mur du fait de leur double scellement horizontal.

Je n’ai trouvé à Reims qu’un seul décrottoir de type simple donc scellé perpendiculairement au mur, rue de la Renfermerie. Situé dans un endroit peu passant, il a sans doute ainsi échappé à l’enlèvement malgré le relatif danger qu’il représente pour la jambe du piéton selon la police rémoise de la voirie.

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D’autres décrottoirs sont fabriqués de 2 ou 3 éléments métalliques, certains avec un seul point de scellement horizontal, certains autres avec deux points de scellement :

Parfois, le soin apporté au dessin d’un si petit objet mérite qu’on l’observe de plusieurs points de vue, comme le décrottoir ci-dessous, en façades d’un immeuble Art Déco.

D’autres décrottoirs encore, dits « en culotte » (expression moderne inventée dans la facétieuse Belgique), possèdent 3 points de scellement horizontal.

L’exemplaire ci-dessus à droite est le seul que je connaisse qui soit situé dans le jambage interne de la porte (porte cochère). Ci-dessous, un des rares à Reims, à ma connaissance, qui possède 4 points de scellement.

Les fonderies, plus encore que les ferronneries, ont produit des décrottoirs en saillie en grand nombre, même si l’on en trouve très peu à Reims.

Certains décrottoirs en fonte, vendus pour être sceller en saillie, sont positionnés de manière à se mettre en conformité avec les règles de voirie : situés à l’intérieur de niches pour ne pas empiéter sur le trottoir. Ce sont des curiosités.

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Les décrottoirs à niche

Les décrottoirs sont dits ‘à niche’ quand un petit creux dans le mur complète le dispositif de la lame métallique. L’extrémité du soulier peut se placer dans le trou : il est ainsi plus aisé de gratter la boue sous la semelle. En théorie, la lame du décrottoir peut alors être placée au plus près du nu du mur, ne débordant pas ou très peu sur le trottoir. Sans doute, l’adoption de ces décrottoirs à niche résulte de la politique municipale qui tend à réduire les saillies sur la voie publique. On les trouve en très grand nombre, au moins autant si ce n’est plus que les décrottoirs en saillie.

Certains restent d’une grande simplicité dans le travail de la matière ou dans la forme.

Les lames de ce premier type de décrottoirs à niche résultent d’un travail de ferronnerie. 

La forme de la niche est pratiquement toujours la même, exception faite du très élégant décrottoir de l’immeuble Art Déco du 41 cours Langlet (en bas à droite).

Le plus souvent, la partie inférieure de la niche est en pente afin d’éviter la stagnation des détritus ou de l’eau.

Cependant, il n’est pas rare de rencontrer des décrottoirs à niche dont la lame est en saillie !

Le pourtour de la niche est parfois mis en valeur par un élément décoratif : moulurage, traitement distinct de l’enduit de façade. Le travail de ferronnerie, au-delà de la lame utile, peut permettre également la décoration du contours de la niche.

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Les décrottoirs à niche de fonderies

Les décrottoirs en fonte les plus fréquents à Reims sont ceux qui permettent de décorer les niches. Ils peuvent être vernis ou émaillés, peints et repeints au long des décennies. La multitude de leur couleur est frappante : blanc, noir, vert, bleu, jaune, rose, brun, voire doré ou argenté… Parfois, la couleur du décrottoir est semblable à celle de la porte d’entrée de la maison.

 Les deux modèles suivants sont les plus fréquents mais la variété des modèles dépend des quartiers : certains modèles étant très fréquents dans un quartier et pas du tout dans un autre. Dans certaines rues même, on trouve des décrottoirs identiques d’une maison à l’autre tandis dans la rue voisine, la variété est beaucoup plus grande. Il est facile d’imaginer que des constructions d’une même époque possèdent des décrottoirs similaires ou, inversement, que des constructions de différentes époques possèdent des décrottoirs différents. Ce n’est généralement pas vrai. La Reconstruction de Reims brouille les pistes. D’autre part, la volonté de se démarquer de son voisin, ou, au contraire, celle de donner une unité au quartier, ont pu influer sur l’achat de tel ou tel modèle. Enfin, les maisons les plus bourgeoises ne possèdent pas forcément les décrottoirs les plus grands ou les plus décoratifs. C’est dans les quartiers populaires, les faubourgs industriels du XIXe siècle, que l’on trouve une majorité de décrottoirs quasi ostentatoires, appliqués sur des immeubles parfois très modestes.

Quelques décrottoirs de fonderie peuvent être simples dans leurs lignes, jouant avant tout sur l’effet de volume.

La décoration du pourtour de la niche dévoile autant qu’elle habille. Sa lame en saillie est une exception dans la catégorie des décrottoirs en fonte rémois.

Cependant, les décrottoirs en fonte moulée sont souvent le support de nombreux éléments décoratifs : fleurs, fruits, feuilles, coquilles, perles, abeilles, colonnettes, vases, corbeilles, têtes, angelots, volutes en tous genres…

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Les marques de fonderies

Quelques mots sur les entreprises de Vivier-au-Court et Vrigne-aux-Bois dont proviennent un grand nombre de décrottoirs rémois : En 1820, Pierre-Louis Camion et son père Barthélémy Camion achètent des terrains sur deux écarts de la commune de Vivier-au-Court (Thumécourt et Moraimont) dans les Ardennes, à 10 kilomètres environ de Charleville. Ils y bâtissent deux polieries pour polir et aiguiser des objets de ferronnerie. Ces polieries sont transformées en fonderies vers 1850. L’usine de Moraimont, agrandie et gérée par les deux autres fils de Barthélémy Camion prend la raison sociale de Camion-Frères et le logo que nous lui connaissons. Ce sont des fils et des cousins Camion qui vont se succéder à la tête de l’usine de Moraimont jusqu’en 1979. Quant à l’usine de Thumécourt, elle est revendue, après le décès de Pierre-Louis Camion en 1852, à François Moranvillé. Son fils, Léon Moranvillé, et son cousin Jules Huet succèdent à François. L’estampille de l’entreprise est alors faite des 2 lettres M et H liées ensembles. Léon se retire de l’affaire en 1903 et Jules Huet la transmet à son gendre Gaston Bernard. L’entreprise prend alors le nom de Bernard-Huet. Une succession de gendres va diriger l’entreprise Bernard-Huet jusqu’à son dépôt de bilan en 1975, après le premier choc pétrolier. Les 2 usines redémarrent et sont rachetées sous d’autres noms dans les années 1980. Elles fonctionnent encore aujourd’hui.

L’estampille MH continue d’être présente sur des objets présentés dans des catalogues postérieurs à 1903. Gaston. Bernard qui succède à Jules Huet à la direction de l’entreprise conserve des modèles tels qu’ils ont été conçus. Cette estampille ne permet donc pas de dater les objets avec précision

De la même manière, l’entreprise Deville à Charleville-Mézière dans les Ardennes, continue de produire des décrottoirs portant le nom d’Alfred Corneau bien après le décès de celui-ci, en 1886.

Les frères Corneau, Emile et Alfred, créent une fonderie à Charleville en 1846. Emile et Alfred Corneau vont développer leur production, paticulièrement dans le domaine de la fonte d’art, en concurrence avec les fonderies de Haute-Marne de Sommevoire et du Val d’Osne. Les Corneau associent leurs gendres, Albert Deville et Henri Joseph Antoine Paillette, à leur entreprise qui se dénomme alors Deville, Paillette et Cie. C’est Albert Deville qui reprend la direction de l’usine en 1886. Désormais l’usine qui connaît une expansion considérable de sa production recentrée sur les appareils de chauffage, est connue sous le seul nom de Deville. Rachetée en 2016 par le groupe Invicta qui possède déjà des usines à Vivier-au-Court, le site de l’usine à Charleville ferme définitivement ses portes.

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Fonderies d’art et décrottoirs

Différents modèles de décrottoirs sont présents dans les catalogues de ferronneries ardennaises comme celles de Léon Thillet à Vrigne-aux-Bois (jouxtant  Vivier-au-Court) ou ceux des établissements Manil, devenus Wintenberger, dont les usines se situent sur les 2 villages de Vrigne et de Vivier. On en trouve également dans les catalogues des fonderies ardennaises Camion Frères à Vivier-au- Court et Corneau  à Charleville, déjà largement citées ; mais encore dans ceux des fonderies de Tusey en Meuse, de Sermaize-sur-Sault (aujourd’hui Sermaize-les-Bains) dans la Marne, ou dans ceux des fonderies  de Dommartin-le-Franc, de Durenne à Sommevoire ou du Val d’Osne en Haute-Marne, pour ne citer que celles-là.  Dans les anciens catalogues des célèbres fonderies d’art qui produisirent des sculptures du pont Alexandre III, les édicules Guimard du métro, les plus beaux kiosques à musique, les fontaines Wallace, les fontaines et colonnes rostrales de la place de la Concorde, etc., on trouve aussi des petites planches présentant des décrottoirs !

Peu de décrottoirs des fonderies d’art haut-marnaises semblent avoir trouvé preneurs à Reims ou, du moins, subsistent encore aujourd’hui. Pourtant, les objets très décoratifs produits par ces fonderies proches, d’ailleurs capables de vendre dans la France entière comme à l’étranger, devraient se trouver ici en plus grand nombre, à l’image de ceux proposés par la fonderie d’art ardennaise Corneau-Deville. Cependant, d’une part, les maisons ou immeubles rémois, y compris dans les quartiers bourgeois, sont essentiellement alignés sur rue, sans jardinet ou cour en façades : il n’existe pas d’espaces urbains semi-privés pour les décrottoirs à scellement vertical comme ces entreprises en proposent généralement, et le règlement de voirie proscrit cet usage. Contrairement à Rome, par exemple, où les décrottoirs, détachés de la façade des immeubles et implantés en retrait de la rue, sont nombreux,  ces modèles sont extrêmement rares à Reims. D’autre part, la période de grande production des fonderies haut-marnaises est antérieure à la première guerre mondiale. Cela semble corroborer l’hypothèse qu’une partie importante des décrottoirs rémois de fonderie pourrait dater de la Reconstruction, des années 1920 donc, lorsque les fonderies ardennaises relancent leur activité alors que celles de Haute-Marne sont largement en déclin ou ont fermé. Enfin, certains décrottoirs de fonderie n’ont pas encore de provenance identifiée. Il est probable qu’une partie d’entre eux ait été fabriquée sur place ! Rappelons que, Charles Roche, maire de la ville lors de la Reconstruction, était lui-même un industriel fondeur dès avant la guerre 14 et que d’autres ferronneries et fonderies existaient alors à Reims.

Des centaines de décrottoirs « peuplent » encore les rues de Reims, en centre-ville comme dans les anciens faubourgs. Malgré les destructions de la première guerre mondiale, malgré le peu de soin accordé souvent à ces petits objets désuets, bien que beaucoup aient cédé leur place ces dernières décennies aux boîtiers électriques ou gaziers en plastique, les décrottoirs ont traversé le temps et participent toujours, même modestement, au décor de notre ville. Ils relèvent à la fois de l’intime et du collectif ; ils parlent du Reims ancien, de l’évolution de la ville et des villes, des industries locales et de leur histoire, de nos rapports à la voie publique et des politiques en matière de voirie, de sociologie des quartiers… Presque invisible, ce petit patrimoine offre une variété beaucoup plus grande qu’il n’y paraît au premier coup d’œil. Certainement, il subsiste encore d’autres modèles de décrottoirs non évoqués ici. A vous de les repérer et de faire partager vos découvertes.

Août 2020

Pour en voir + :

Récapitulatif des Décrottoirs